Pierre Cardin, l'entrepreneur : Bonnieux et Venise


Lors de la récente conférence de presse dédiée au festival de Lacoste, Pierre Cardin, infatigable entrepreneur, a tenu à nous montrer les travaux qu'il est en train de faire exécuter dans les bâtiments faisant face à  l'ancienne gare de Bonnieux, bâtiments dont il a fait l'acquisition. 
Autrefois cave viticole, le lieu était récemment plus connu pour être le siège de la galerie de la Gare, galerie de design vintage scandinave appartenant à Charoline Ologörs qui ouvrira bientôt un nouveau lieu en juillet, dans un des villages dit du triangle d'or : Bonnieux ? Ménerbes ou Gordes ? Nous vous tiendrons informé !
Pierre Cardin a donc investi les lieux pour en faire un espace dédié au cinéma. Pour l'instant le projet n'est pas encore affiné, mais nous avons pu visiter ce qui deviendra une salle de projection, ainsi que des salles dédiées à l'accueil des équipes de tournage et des studios d'habitation permettant aux équipes de séjourner. Bref, il faut y voir un appui technique et logistique aux tournages de films, téléfilms et films publicitaires qui sont nombreux en Lubéron. Très bonne idée assurément, en particulier depuis la disparition, à Apt,  du Bureau du cinéma Lubéron-Vaucluse, littéralement sabordé, équipe comprise et qui semble peiner à fonctionner à nouveau dans ses  locaux de Carpentras.
Un point de chute spacieux, privé, au coeur des tournages, en tout cas d'une grande partie des tournages qui ont lieu en Vaucluse. Une affaire à suivre.

Mais ceci est une peccadille, puisque le grand projet, actuellement, de Pierre Cardin se situe à Venise. Il s'agît ni plus ni moins que la réalisation d'une "sculpture habitable futuriste" dans le district métropolitain de Venise qui portera le nom de Palais Lumière. Le 4 septembre prochain sera inauguré le lancement de sa construction sur 50 hectares. Elle devra être achevée pour l'Exposition Universelle qui se tiendra à Milan, en 2015, du 1er mai au 31 octobre. Et la même année, une ligne ferroviaire de type TGV reliant Milan à Venise via Verone et Padoue, en une heure, devrait être mise en service.
" Le Palais Lumière a pour objectif de concentrer dans un espace, tout ce dont l’individu peut avoir besoin, en lui offrant en outre la possibilité de rejoindre chaque espace à pied et en très peu de temps."
Le palais sera constitué de trois tours semblables, inclinées et de tailles différentes. Sa hauteur totale sera de 245 mètres et il sera composé de 60 étages sur une base de 30 000 m.²
21 ascenseurs panoramiques permettront l'accès aux différents espaces : 284 résidences particulières sur une superficie totale de 45 000 m.², des hôtels (34 000 m.²), 310 bureaux (24 000 m.²), des activités commerciales, de service,  des pôles de recherche appliquée, un cinéma multiplex, un centre de congrès doté d'un théâtre/auditorium de 6200 à 7000 places, des centres d'instruction supérieure et des restaurants (130 000 m.²), des piscines privées et publiques, des espaces verts.

Et chaque tour à son intérieur disposera de 17 ascenseurs dont 14 pour 7 personnes, deux pour 15 personnes et un pour 50 personnes.  Soit au total, 72 ascenseurs.
"L’énergie nécessaire à l’édifice sera produite par des systèmes intégrés renouvelables de type photovoltaïque et éolien; cela permettra à la structure de rejoindre l’auto-suffisance énergétique dans le bilan entre l’énergie consommée et l’énergie produite".
"Le choix de la disposition en plan des trois tours, leur gabarit et les plateformes transversales, qui grâce à leur forme lenticulaire, contribuent à accentuer l'effet « cross-flow » du vent au centre du palais, deviennent fondamentaux. Grâce à cette morphologie et aux six turbines à axe vertical, d’un diamètre de 25 m dotées de 24 pales de 20 m2. Ces hauteurs de tours permettent de transformer l’énergie cinétique du vent en environ 7,8 GWp de puissance électrique annuelle satisfaisant ainsi les 4/5 du besoin moyen des activités d’une tour entière."

" Cela implique que même la présence d’une vitesse moyenne du vent inférieure à 2 m/s serait suffisante pour le fonctionnement de tous les équipements essentiels (ascenseurs, illumination minimum de tous les locaux, systèmes de sécurité) en cas de panne électrique totale. Le reste de la puissance sera assurée par les panneaux photovoltaïques." 
Le Palais Lumière se voulant à impact environnemental "absolument limité" la question du tri sélectif et du recyclage a fait l'objet d'une étude approfondi basée sur les analyses de la Chambre de Commerce de Milan. Sont évalués aussi bien la moyenne de production individuelle de déchets dans la zone de Milan, la ville étant représentative de la tendance de l’Italie du Nord que la distribution moyenne en termes de poids de différentes typologies de déchets.
Le Palais Lumière sera construit à proximité de la gare ferroviaire de Mestre,  sur le site de Porto Marghera,   site industriel du début du XXe siècle,  à proximité de l’agglomération de Marghera, actuellement dégradée et consacrée à des activités commerciales et productives en phase d’abandon, le but étant d'en faire "une ville-jardin". Il sera aussi en contact direct avec la lagune et à proximité de Venise, via le canal de Marghera.
Le projet est réalisé par le Studio Pierre Cardin-Paris et par le Concept créatif Pierre Cardin S.P.A.-Venezia.  Les équipes qui travaillent sur les conceptions techniques sont italiennes.


Olivia Gazzano

France 5, le mystère de la tête d'Henri IV

© Galaxie Presse/S. Gabet/P. Belet.
Entretien avec Stéphane Gabet et Pierre Belet

Comment êtes-vous partis à la recherche de la tête d’Henri IV ?

Stéphane Gabet : Nous étions en train de préparer une émission sur le « bon roi » avec Jean-Pierre Babelon. Alors que nous évoquions les thèmes forts de l’existence du monarque, l’historien a parlé d’une anecdote « folklorique » bien connue des historiens : Henri IV aurait perdu sa tête, mais on ignorait tout de sa localisation. Quelques semaines plus tard, Jean-Pierre Babelon nous transmettait une lettre a priori sans importance : un homme lui avait écrit quelques années plus tôt pour lui poser des questions sur cette énigme. Nous l’avons donc appelé, mais il semblait particulièrement embarrassé au téléphone. Plusieurs mois de patience ont été nécessaires pour qu’il nous avoue enfin que c’était lui qui la possédait et pour qu’il accepte également de nous la confier pour une expertise.

Pierre Belet : Pour le 400e anniversaire de la mort d’Henri IV (1610), on trouvait là un angle original pour parler du Vert Galant. Au début, nous étions loin d’imaginer pouvoir retrouver la tête du roi. Mais on s’est dit que cela valait le coup de tenter l’aventure : on ne met pas la main sur une momie tous les jours ! Au fur et à mesure de notre enquête, nous progressions dans nos découvertes et prenions peu à peu la mesure de la matière que nous avions entre nos mains : nous avions là tous les ingrédients d’un film policier.

S. G. : Ce qui s’est passé est un véritable événement archéologique et historique : tout d’abord, nous découvrons une momie, ce qui n’est pas courant. Ensuite, il s’avère que c’est celle d’un roi. Puis nous réussissons à identifier que c’est celle du plus populaire d’entre eux ! Ce genre de choses n’arrive jamais…

Vous avez eu beaucoup de chance de récupérer la tête…

S. G. : Effectivement. Dix ans plus tôt, M. Bellanger n’aurait pas accepté de nous confier sa relique. Mais nous avons établi une relation de confiance avec lui et sa femme. Ils ont vu qu’on se passionnait pour ce mystère. C’est un véritable cadeau qu’ils nous ont fait. Nous nous rappellerons toujours ce 22 janvier 2010, le jour où nous avons vu la tête pour la première fois. Elle était dans une armoire, mais le propriétaire avait perdu la clé depuis plus de dix ans et celles que les ébénistes nous avaient confiées ne fonctionnaient pas. Nous avons alors fait venir un serrurier. La situation était drôle et, en même temps, surréaliste.
Comment avez-vous construit le documentaire ?

Comment avez-vous construit le documentaire ?

S. G. : Nous filmions en même temps que nous progressions dans notre travail. Nous devions donc gérer plusieurs éléments simultanément : à la fois notre enquête historique et scientifique et les aspects techniques et artistiques.

P. B. : Je pense que nous aurions perdu en vérité si nous n’avions pas filmé au fur et à mesure. Ce parti pris renforce notre démarche d’authentification.

Comment avez-vous procédé pour cette étude ?

S. G. : Nous nous sommes appuyés sur les compétences du Dr Charlier. C’est lui qui a défini chaque étape du protocole scientifique.
P. B. : Philippe Charlier a fait preuve d’une froideur scientifique. Il n’avançait jamais de conclusions hâtives. Il attendait de terminer tous les examens pour se prononcer. Il nous a toujours laissés dans le doute. Nous alternions donc entre déception et espoir.

S. G. : Avec lui, rien n’était jamais perdu. Nous pouvions aller jusqu’au bout.

Finalement, êtes-vous absolument sûrs d’avoir trouvé la tête d’Henri IV ?

P. B. : Tout coïncide. Comme les scientifiques, nous sommes sûrs à 99,9 %. L’étude a été menée avec rigueur par des personnes compétentes.

S. G. : Il n’y a aucun doute pour moi. Nous avons trente éléments de preuves et aucune donnée contradictoire.

Bios express

Pierre Belet (photo ci-dessous, à droite), journaliste, documentariste. Ancien rédacteur en chef du magazine Echappées belles (France 5), il a réalisé des reportages et des documentaires pour Envoyé spécial (France 2), Secrets d’histoire (France 2), Thalassa (France 3), Reportages (TF1), ainsi que pour Voyage, NT1 et La Chaîne parlementaire.
Stéphane Gabet, journaliste, documentariste. Ancien auteur et rédacteur en chef des magazines Secrets d’histoire (France 2), il a aussi écrit et réalisé plusieurs documentaires et docu-fictions pour France 5, Planète, Voyage, La Chaîne parlementaire. Il est membre de l’Association des journalistes du patrimoine (AJP).

France 5, diffusion dimanche 13 mars, 20h35, dans "La case du siècle" présentée par Fabrice d'Almeida. Production : France Télévisions / Galaxie Presse / Réunion des Musées nationaux.



Lacoste ou le rêve de pierre de Monsieur Cardin


« Autrefois, les touristes voulaient voir le château du marquis de Sade. Aujourd’hui, ils demandent où est Cardin. » Cette phrase d’un habitant de Lacoste résume à quel point le célèbre couturier a imprimé sa griffe sur ce village du Luberon pas tout à fait comme les autres. Il y a huit ans à peine, Pierre Cardin rachetait le château à la veuve d’André Bouër, l’homme qui avait consacré sa vie au monument. Le couturier avait eu « un coup de cœur » pour ces lieux chargés d’histoire. Après avoir investi le palais de Casanova à Venise, il allait restaurer le nid d’aigle du sulfureux marquis et créer un festival d’été dans les carrières attenantes. En visionnaire, il rêva d’abord d’un château de verre et d’un théâtre de plein air entièrement retaillé dans la pierre, projets qui durent finalement se plier aux contraintes de la réalité. « Cardin ne respectait pas la loi. Le projet de théâtre était sur un terrain inconstructible. Nous l’avons mis au tribunal administratif et nous avons gagné », explique Yves Ronchi, président de l’association pour le développement harmonieux de Lacoste.
Ainsi la relation de Cardin au village s’engageait-elle sur le mode du conflit avec ceux que la rumeur publique a vite baptisés les « anti-Cardin ». Tandis que d’autres, hésitant entre scepticisme et espoir, s’interrogeaient : que fallait-il attendre de la manne Cardin ?
A son décès, Nora Bouër léguait la totalité de ses biens, maisons de village et propriété de l’étang, au nouveau maître de Lacoste. Lequel complétait son domaine en rachetant plusieurs maisons, le café de Sade, la boulangerie…L’essentiel de la rue Basse devenait ainsi un vaste chantier Cardin. Aujourd’hui, les premiers commerces rénovés ont rouvert, tenus par des salariés de la société Cardin. «J’ai voulu redonner vie au village », explique le couturier dans son bureau parisien, entouré de photos qui retracent les temps forts d’une vie exceptionnelle, dans l’intimité de monstres sacrés comme Jeanne Moreau, Maïa Plissetskaïa… Adulé de par le monde, incompris à Lacoste? « Au lieu de placer mon argent à la banque, j’ai investi gros ici, plusieurs millions d’euros. J’ai fait travailler des centaines de personnes depuis huit ans. Aujourd’hui j’emploie quarante personnes, et je n’ai que des reproches. On m’accuse d’avoir racheté des maisons, mais ce sont les gens qui sont venus me trouver pour me les vendre, à un bon prix. Ils se sont dits : voilà une bonne poire ! ».
Village d’artistes ou village-musée ?
Quelques secondes d’amertume, mais très vite, chez ce bâtisseur, le goût de l’action reprend le dessus. « Je construis actuellement un très bel hôtel, je restaure des maisons où seront hébergés les artistes du festival, et que les gens pourront louer. Il y aura aussi des galeries d’art et des résidences d’artistes », poursuit Pierre Cardin. « J’ai toujours vécu avec des artistes, j’ai été acteur, ce qui était ma vocation de jeunesse, et maintenant je suis patron de théâtre, homme de spectacle ». D’où, explique-t-il, son projet de « village d’artistes en Provence ». Ou de « nouveau Saint-Tropez », expression lancée au printemps dernier à l’occasion de sa conférence de presse annuelle. « St Tropez, j’y allais avant B.B. J’avais vingt ans, c’était un endroit magnifique où il se passait des choses intéressantes. Ici, disons que j’ai voulu faire un St Tropez différent », précise-t-il aujourd’hui. Mais les Lacostois n’ont pas forcément réservé un accueil enthousiaste aux projets du mécène Cardin. « Je voulais installer des sculptures. Ils me les ont fait enlever », note-t-il, déçu.
L’art au village selon Cardin ? En-dehors de la période estivale, ce sont de rares résidents, et une galerie. Pas de quoi rivaliser pour l’instant avec le Savannah College of Art, qui tient la partie haute du village et y accueille toute l’année des groupes d’étudiants venus des USA. Certains habitants, amateurs d’art ou artistes eux-mêmes, font la moue. « Pour le moment, les locaux aménagés par Cardin ont des vitrines, mais il y a beaucoup de coquilles vides », déplorent les derniers habitants de la rue Basse. Au-delà des désagréments du chantier, les initiatives de Cardin suscitent des réserves. «Le prix des places au festival, c’est 140€. Ce n’est pas pour nous », souligne Yves Ronchi. « Ce qu’il faudrait pour le village, c’est un projet de développement global, savoir où se garer, comment on vit, et s’il y a un véritable projet culturel. Là, on se demande où ça va aller». Le sort des Baux-de-Provence, village-musée des Alpilles, à quelques encablures de là, fait figure d’épouvantail.
« Le mécénat façon Cardin, c’est très show-biz », observe pour sa part le photographe et vidéaste David Paquin. Enfant du village, il est le fils de l’ancienne boulangère. «La boulangerie était déficitaire, ma mère cherchait à vendre. Nous avons vendu à Cardin, je n’en suis pas très fier », confie-t-il. « Mais on sait bien que si on en est là, Cardin n’est pas le seul en cause. Le château avait été proposé à la vente à l’ancienne mairie, qui avait refusé. Le village a perdu son âme peu à peu. »
Ici, il y a ceux qui vendent à Cardin, ceux qui travaillent pour lui. Il y a donc, aussi, de l’indulgence pour le nouvel hôte du château et ses initiatives. Vrai mécénat ou caprice de milliardaire ? A ces interrogations s’en ajoutent d’autres, un peu inquiètes : « Et s’il se fâche et s’en va? », se demandait Lili, l’ancienne patronne du café de Sade, alors qu’elle s’apprêter à fermer l’établissement après l’avoir cédé à Pierre Cardin . « Et après lui ? », ajoutent les prévoyants. « Bien sûr que j’ai préparé les relais au sein de la société. Mais après moi, ce n’est pas mon problème ! », lance le couturier. Homme du présent, Monsieur Cardin revient ici tous les week-ends diriger ses multiples chantiers. « Je continue ! C’est ma raison d’être, ça me rend heureux. La plupart des gens ont des rêves, peu les réalisent. Moi, si ! » Ainsi continue de prendre forme, malgré la poussière et les critiques, le rêve de pierre de Monsieur Cardin.

Carina Istre, n° 16 janvier-février 2009

Tout un monde de chapeaux



Du plus populaire au plus élégant, tout un monde de chapeaux dans cette boutique qui fêtera bientôt ses 150 ans.

Depuis 1860 la chapellerie de la rue des Marchands coiffent à Avignon les hommes et les femmes de tous âges. La façade et la boutique ont été classées Monument historique en 1995 ce qui en fait l’unique chapellerie classée en France. Elle rouvrait en avril 2007, après un mois et demi de fermeture pour cause de restauration. Durant tout ce temps les restaurateurs ont effectué des sondages sur le décor style Louis XVI des placards de rangement afin de retrouver la couleur d’origine. Une fois que ce fût fait, ils ont posé la couleur gris beige retrouvée sous les couches de peinture et appliqué les feuilles d’or qui rehaussaient la décoration.

Si à l’époque hommes et femmes portaient le chapeau comme un moyen d’affirmer leur statut social, le port du chapeau ne revêt plus aujourd’hui de caractère obligatoire mais on en porte toujours, pour se protéger de la chaleur et du froid ou pour se donner une allure.
Hommes, femmes, civils ou militaires, jeunes filles, rappeurs, branchés, randonneurs, francs-maçons, possesseurs de voitures décapotables, tous passent par la maison Mouret. Car, ici, tous les styles de chapeaux sont proposés, du légendaire panama dont la maison est spécialiste à la casquette de travail en passant par la capeline de cérémonie et la casquette australienne de golf et même le bonnet de nuit ! Et nul n’est besoin de sortir de gros billets pour se coiffer d’un chapeau. Les créations de soixante fabricants trouvent leur place dans la petite boutique : français, anglais, italien, belge, australien, américain, équatorien, allemand.

Mais, me direz-vous, porter un chapeau n’est pas chose facile, il y a les têtes à chapeau et les autres, c’est bien connu. D’où l’intérêt de se rendre alors chez un chapelier : pour le conseil et les tailles. Enfin, pour les hommes, du 56 au 63. Car pour les femmes, il n’y a jamais qu’une seule taille de chapeau. Et c’est là qu’intervient le savoir-faire du chapelier qui à l’aide d’un conformateur le détendra pour l’ajuster à la tête ou le rétrécira en faisant des points de couture. Vincent Mouret conseille par ailleurs aux dames qui veulent porter une capeline pour un mariage, de choisir d’abord la coiffe puis d’adapter ensuite une tenue simple que la capeline relèvera, c’est beaucoup plus facile. C’est ce qu’on appelait au début du XXème siècle « la haute mode » : les modistes créaient les chapeaux qui déterminaient la création des robes. D’une manière générale, lorsqu’on décide de s’en acheter un, il faut le mettre tout de suite, sortir de la boutique avec, se forcer à le mettre les trois premiers jours et ne pas avoir peur des regards qui seront admiratifs et en aucun cas moqueurs.

Les chapeaux se sont des matières, des formes, des modes et des usages, souvent détournés de nos jours et c’est d’ailleurs ce qui assure leur pérennité au quotidien.
Du feutre en hiver, du coton en été, de la soie pour l’intérieur, de la paille d’Italie très fine, tressée et cousue, de la feuille de palmier séchée, du liège, un chapeau digne de ce nom ne s’accommode que de matières naturelles et de savoir-faire ancestraux pour les travailler.
La mode remet au goût du jour des formes anciennes telles que celle du chapeau à petit bord, le chapeau de pépé, porté par des trentenaires et des quadragénaires que le style de leurs groupes de musique de l’est et de jazz manouche préférés ont popularisé.
Détourner l’usage d’un chapeau est chose courante. Pour se distinguer, pour se jouer des conventions et des appartenances, sociales, le plus souvent. Ainsi la culture hip hop, les rappeurs, la RnB ont inscrit la casquette australienne de golfeur à leur code vestimentaire, en la portant en arrière, sur le côté, puis en avant. Le chapeau à petit bord est aussi en usage. On la voit aussi cette fameuse casquette modèle 504 sur la tête de Ordell Robbie, le trafiquant d’armes joué par Samuel L. Jackson dans le fameux « Jackie Brown » de Tarantino.
Mais les milieux musicaux et le cinéma ne sont pas les seuls prescripteurs. Les qualités intrinsèques du casque colonial en font un accessoire prisé de certains agriculteurs. Car doublé de liège, il isole très bien de la chaleur, plus long derrière que devant, il protège la nuque, l’intérieur de son bord, de couleur verte, diminue considérablement la réverbération du soleil dans les yeux, les œillets et un système de couture permettent à l’air de passer.

Et puis, il y a les intemporels, le populaire et l’élégant : le canotier e le panama. Le canotier français, tout d’abord : triple épaisseur de paille et apprêté pour qu’il reste plat avec à l’intérieur du cuir monté sur filet pour le confort de la tête et le canotier italien, celui porté par les gondoliers, souple et un peu plus bas. Le canotier est léger, mais il prend de la place. Lorsque Vincent Mouret remporta un marché de 3000 canotiers pour le tour de France, il fallut un semi-remorque pour les transporter !
Et enfin, le chapeau de légende, le panama, aussi bien porté par les hommes que par les femmes pour son élégance, quand il prend la forme d’un Borsalino, et pour son confort. Le « sombrero fino de paja toquilla » tel qu’il est appelé en Equateur où il est tissé à la main et selon les mêmes procédés depuis 1640, a été popularisé par les ouvriers qui creusaient le canal de Panama en 1881 et exporté par eux aux Etats-Unis et en Europe sous le nom générique de « panama hat ». Depuis son succès ne s’est plus démenti. Mais Il faut noter que le panama est une matière qui se décline sous toutes les formes : Borsalino (la plus connue), planteur, colonial, western, capeline, cloche, casquette, visière...Il peu être apprêté et donc rigide, il est alors déconseillé de le mettre sous la pluie ou mou, dans ce cas on peu le rouler et le placer dans sa poche. Tissé grossièrement ou si finement qu’il ressemble à de la toile de lin, son confort est sans égal. Les plus fins nécessitent jusqu’à six mois de tissage, leurs prix est donc en rapport. Mais qu’ils aient nécessité quatre jours de tissage ou six mois, chaque panama est unique et deux personnes interviennent dessus : celui qui tissent et celui qui l’arrête. Ainsi quand Vincent Mouret va les chercher en Equateur, il choisit ses chapeaux en fonction du tissage, convient d’un prix avec les tisseurs, les signe tous avant qu’ils ne passent entre les mains des Indiens qui les finissent afin que son lot ne parte pas entre les mains d’un autre chapelier qui aurait surenchérit sur le lot.
Tout un monde de chapeaux qui racontent des histoires et créent l’âme de la boutique.



Olivia Gazzano, n°7, juillet/août 2007

Folie des hommes

Le propre de l’homme politique est de croire en lui. Parfois à l’excès, lorsqu’il oublie les forces de la nature.

2007 célèbre le tricentenaire de Vauban et met en valeur ses fortifications construites aux marches du royaume. L’occasion de rappeler un épisode oublié. Le Rhône est alors une frontière. S’il n’est pas utile de défendre militairement Villeneuve et la France, Louis XIV, Colbert et Vauban veulent ruiner la prospérité des États pontificaux.

Louis XIV, fils aîné de l’Église, ne peut affronter directement celle qui possède des enclaves en France. Mais il veut, en s’attaquant au commerce de ces territoires, les pousser à rejoindre son giron. Le concordat de 1734 y parviendra. Vauban distingue le spirituel du temporel et écrit en 1700 : « À l’égard de l’Église, conserver quant au spirituel tout le respect dû au Saint-Siège mais quant au temporel, suprimer peu à peu tous les revenus ecclésiastiques qu’on peut et doit considérer comme un pur brigandage… ».

Il y a un moyen rapide d’enrichir la France : assécher le Rhône en face d’Avignon pour faire passer tout le commerce fluvial par Villeneuve. On sait que le lit du Rhône « suivait à peu près la route de Sauveterre, s’incurvait avant la Chartreuse, frôlait l’est du mont Andaon et se dirigeait vers la tour Philippe-le-Bel en longeant le rocher de Saluces »(2). Le Rhône de Villeneuve est plus large que celui d’Avignon, mais de nombreux bancs de sable, créant parfois des îles, l’encombrent. Le Rhône navigable est donc d’abord celui de Villeneuve, puis passe entre la Barthelasse et l’île Piot pour arriver sur les berges d’Avignon.

Ce projet naît après une énième destruction du pont Saint-Bénézet en 1672. Lorsque Vauban inspecte les lieux, il reste donc à construire deux jetées-barrages, l’une au nord de la Barthelasse, pour dériver le Rhône, l’autre entre l’île Piot et la Barthelasse, pour obliger le fleuve à rester du même côté. Et il faut réaliser l’ouvrage assez vite pour que les édiles avignonnais n’aient pas le temps de protester officiellement. Vauban confirme l’option de la digue-barrage au nord de l’île de la Barthelasse et recommande de reculer le rempart situé à l’extrémité du mont Andaon pour y ménager un chemin de halage. Enfin, il veut conserver les arches du pont subsistant du côté de Villeneuve et installer dans la première un poste de garde fortifié pour assurer la police du fleuve.

Mais la puissance du Rhône ruina toutes les tentatives de suites données à cette chimère…

Quant à Vauban, il restera prisonnier de ses fortifications. Oubliés, le démographe qui créa une méthode de dénombrement des populations, l’humaniste qui mit au point des recettes diététiques ou s’inquiétait de justice sociale, l’homme de foi auquel il « serait plus facile de compatir avec le diable qu’avec un méchant prêtre », le patriote à l’humeur volcanique, ami du roi, l’inventeur de la guerre psychologique, l’homme à femmes qui reconnut par testament cinq enfants, le réaliste qui joignait les motifs d’humanité aux raisons économiques, le chef conscient du coût de la formation d’un soldat, l’avocat des huguenots… Tous ont péri au seul bénéfice de son architecture. L’Histoire est aussi cruelle que la nature.


Pierre François, n°8, septembre/octobre 2007


(1) Selon la description parue dans Évocation de la cité au XVIIe siècle, Le Rhône de Villeneuve et Vauban, par Philippe Roux, archives municipales de Villeneuve lez Avignon, 1994.

Les bories du canton de Malaucène


Le canton de Malaucène possédait et possède encore dans son remarquable patrimoine une richesse architecturale mal connue : les bories. Ces bories s’inscrivent dans l’héritage culturel du canton qui peut en être fier : elles témoignent d’une vie agricole révolue et d’un savoir-faire disparu.

Petites cabane de pierres sèches construites uniquement avec des pierres prélevées à proximité de la construction, elles n’ont pas de fondation et sont édifiées sans mortier, sans liant, sans coffrage. La réalisation d’une borie moyenne nécessite 100 000 à 150 000 pierres qui pèsent au total de 50 à 75 tonnes. Le savoir-faire des auteurs de ces constructions qui, par leur empilement défient les lois de l’équilibre, force notre admiration. Cette architecture rurale utilitaire s’intègre tout naturellement et avec une parfaite harmonie dans son environnement.

Depuis des millénaires la pierre tient dans le canton de Malaucène une place primordiale : mines et ateliers préhistoriques, silex taillés, haches polies, maillets à rainures et plus près de nous : carrières romaines, carrières à meules, puits, aiguiers, bories, murs, murets, enclos, etc.
Toutes les bories du canton ont un air de famille, mais sont toutes différentes par les dimensions, formes, plans, volumes, ouvertures, cintres, linteaux, clapiers, contreforts, murs, aménagements divers...
L’air de famille est donné par la voûte qui recouvre ces cabanes. Elle est réalisée par encorbellement, c'est-à-dire que les pierres sont posées par assises les une sur les autres en se dépassant légèrement à l’intérieur jusqu’au sommet où une lourde dalle horizontale clôt la couverture. Les pierres extérieures, par une faible inclinaison, procure une certaine étanchéité. Ces constructions réalisées avec un matériau gratuit et des outils rudimentaires sont le fruit d’un labeur prodigieux poursuivi avec constance et détermination.
Si certaines de nos bories ont réussi leur entrée dans ce 3e millénaire, d’autres, beaucoup d’autres, ne sont plus que ruines et écroulements sinistres et, à défaut d’avoir été fixées sur pellicule, nos regards ne pourront plus jamais admirer « leur visage ». Pour éviter qu’il en soit de même avec les fragiles rescapées, une photographe, Margaret Storck, s’est livrée à une campagne photographique sur plusieurs années.

Pour quoi ces bories ? En 50 ans, de 1796 à 1846 la population du canton de Malaucène augmente de 1721 personnes : plus de deux fois la population d’Entrechaux en 1796. Que faire pour nourrir ces nouvelles bouches ? Les terres des plaines et des vallées sont déjà toutes exploitées et la production stagne. Il faut alors conquérir de nouvelles terres, loin du village sur des terrains ingrats, pentus et difficiles d’accès. Avant la mise en culture de ces nouvelles terres, il faut retirer des tonnes et des tonnes de pierres. Qu’en faire ? Les stocker, les empiler, mais aussi construire des murs de soutènement de terrasses de cultures, des murs d’enceintes, des murets et murailles formant des enclos de protection pour des troupeaux. Loin du village où de la ferme, une petite cabane, remise-abri, devient nécessaire. Elle sera édifiée avec des pierres sélectionnées et appropriées. Son utilisation temporaire se fera au rythme des travaux et des saisons.
Si, à Entrechaux, une dizaine de bories fatiguées sont en voie de disparition, quatre sont encore conservées dont deux présentent des signes inquiétants. Que faire à présent ? Les laisser vivre leur vie et accepter leur mort et donc perdre définitivement ces derniers vestiges d’une vie agro-pastorale révolue ou envisager une action de sauvegarde comme celles menées par exemple à La Bastidonne (Vaucluse), Les Eguilles, à Cornillon-Confoux et dans la région salonaise (Bouches-du-Rhône). Quelle que soit la suite donnée, un devoir de mémoire est-il souhaitable pour que les générations futures puissent au moins contempler en images ces quatre dernières bories ?


J-J G., n°9, novembre/décembre 2007

1) les bories sont des propriétés privées. Elles méritent respect et sauvegarde.
légende photo: Borie, commune d'Entrechaux.
crédit photo: Margret Storck