Les bories du canton de Malaucène


Le canton de Malaucène possédait et possède encore dans son remarquable patrimoine une richesse architecturale mal connue : les bories. Ces bories s’inscrivent dans l’héritage culturel du canton qui peut en être fier : elles témoignent d’une vie agricole révolue et d’un savoir-faire disparu.

Petites cabane de pierres sèches construites uniquement avec des pierres prélevées à proximité de la construction, elles n’ont pas de fondation et sont édifiées sans mortier, sans liant, sans coffrage. La réalisation d’une borie moyenne nécessite 100 000 à 150 000 pierres qui pèsent au total de 50 à 75 tonnes. Le savoir-faire des auteurs de ces constructions qui, par leur empilement défient les lois de l’équilibre, force notre admiration. Cette architecture rurale utilitaire s’intègre tout naturellement et avec une parfaite harmonie dans son environnement.

Depuis des millénaires la pierre tient dans le canton de Malaucène une place primordiale : mines et ateliers préhistoriques, silex taillés, haches polies, maillets à rainures et plus près de nous : carrières romaines, carrières à meules, puits, aiguiers, bories, murs, murets, enclos, etc.
Toutes les bories du canton ont un air de famille, mais sont toutes différentes par les dimensions, formes, plans, volumes, ouvertures, cintres, linteaux, clapiers, contreforts, murs, aménagements divers...
L’air de famille est donné par la voûte qui recouvre ces cabanes. Elle est réalisée par encorbellement, c'est-à-dire que les pierres sont posées par assises les une sur les autres en se dépassant légèrement à l’intérieur jusqu’au sommet où une lourde dalle horizontale clôt la couverture. Les pierres extérieures, par une faible inclinaison, procure une certaine étanchéité. Ces constructions réalisées avec un matériau gratuit et des outils rudimentaires sont le fruit d’un labeur prodigieux poursuivi avec constance et détermination.
Si certaines de nos bories ont réussi leur entrée dans ce 3e millénaire, d’autres, beaucoup d’autres, ne sont plus que ruines et écroulements sinistres et, à défaut d’avoir été fixées sur pellicule, nos regards ne pourront plus jamais admirer « leur visage ». Pour éviter qu’il en soit de même avec les fragiles rescapées, une photographe, Margaret Storck, s’est livrée à une campagne photographique sur plusieurs années.

Pour quoi ces bories ? En 50 ans, de 1796 à 1846 la population du canton de Malaucène augmente de 1721 personnes : plus de deux fois la population d’Entrechaux en 1796. Que faire pour nourrir ces nouvelles bouches ? Les terres des plaines et des vallées sont déjà toutes exploitées et la production stagne. Il faut alors conquérir de nouvelles terres, loin du village sur des terrains ingrats, pentus et difficiles d’accès. Avant la mise en culture de ces nouvelles terres, il faut retirer des tonnes et des tonnes de pierres. Qu’en faire ? Les stocker, les empiler, mais aussi construire des murs de soutènement de terrasses de cultures, des murs d’enceintes, des murets et murailles formant des enclos de protection pour des troupeaux. Loin du village où de la ferme, une petite cabane, remise-abri, devient nécessaire. Elle sera édifiée avec des pierres sélectionnées et appropriées. Son utilisation temporaire se fera au rythme des travaux et des saisons.
Si, à Entrechaux, une dizaine de bories fatiguées sont en voie de disparition, quatre sont encore conservées dont deux présentent des signes inquiétants. Que faire à présent ? Les laisser vivre leur vie et accepter leur mort et donc perdre définitivement ces derniers vestiges d’une vie agro-pastorale révolue ou envisager une action de sauvegarde comme celles menées par exemple à La Bastidonne (Vaucluse), Les Eguilles, à Cornillon-Confoux et dans la région salonaise (Bouches-du-Rhône). Quelle que soit la suite donnée, un devoir de mémoire est-il souhaitable pour que les générations futures puissent au moins contempler en images ces quatre dernières bories ?


J-J G., n°9, novembre/décembre 2007

1) les bories sont des propriétés privées. Elles méritent respect et sauvegarde.
légende photo: Borie, commune d'Entrechaux.
crédit photo: Margret Storck