Tout un monde de chapeaux



Du plus populaire au plus élégant, tout un monde de chapeaux dans cette boutique qui fêtera bientôt ses 150 ans.

Depuis 1860 la chapellerie de la rue des Marchands coiffent à Avignon les hommes et les femmes de tous âges. La façade et la boutique ont été classées Monument historique en 1995 ce qui en fait l’unique chapellerie classée en France. Elle rouvrait en avril 2007, après un mois et demi de fermeture pour cause de restauration. Durant tout ce temps les restaurateurs ont effectué des sondages sur le décor style Louis XVI des placards de rangement afin de retrouver la couleur d’origine. Une fois que ce fût fait, ils ont posé la couleur gris beige retrouvée sous les couches de peinture et appliqué les feuilles d’or qui rehaussaient la décoration.

Si à l’époque hommes et femmes portaient le chapeau comme un moyen d’affirmer leur statut social, le port du chapeau ne revêt plus aujourd’hui de caractère obligatoire mais on en porte toujours, pour se protéger de la chaleur et du froid ou pour se donner une allure.
Hommes, femmes, civils ou militaires, jeunes filles, rappeurs, branchés, randonneurs, francs-maçons, possesseurs de voitures décapotables, tous passent par la maison Mouret. Car, ici, tous les styles de chapeaux sont proposés, du légendaire panama dont la maison est spécialiste à la casquette de travail en passant par la capeline de cérémonie et la casquette australienne de golf et même le bonnet de nuit ! Et nul n’est besoin de sortir de gros billets pour se coiffer d’un chapeau. Les créations de soixante fabricants trouvent leur place dans la petite boutique : français, anglais, italien, belge, australien, américain, équatorien, allemand.

Mais, me direz-vous, porter un chapeau n’est pas chose facile, il y a les têtes à chapeau et les autres, c’est bien connu. D’où l’intérêt de se rendre alors chez un chapelier : pour le conseil et les tailles. Enfin, pour les hommes, du 56 au 63. Car pour les femmes, il n’y a jamais qu’une seule taille de chapeau. Et c’est là qu’intervient le savoir-faire du chapelier qui à l’aide d’un conformateur le détendra pour l’ajuster à la tête ou le rétrécira en faisant des points de couture. Vincent Mouret conseille par ailleurs aux dames qui veulent porter une capeline pour un mariage, de choisir d’abord la coiffe puis d’adapter ensuite une tenue simple que la capeline relèvera, c’est beaucoup plus facile. C’est ce qu’on appelait au début du XXème siècle « la haute mode » : les modistes créaient les chapeaux qui déterminaient la création des robes. D’une manière générale, lorsqu’on décide de s’en acheter un, il faut le mettre tout de suite, sortir de la boutique avec, se forcer à le mettre les trois premiers jours et ne pas avoir peur des regards qui seront admiratifs et en aucun cas moqueurs.

Les chapeaux se sont des matières, des formes, des modes et des usages, souvent détournés de nos jours et c’est d’ailleurs ce qui assure leur pérennité au quotidien.
Du feutre en hiver, du coton en été, de la soie pour l’intérieur, de la paille d’Italie très fine, tressée et cousue, de la feuille de palmier séchée, du liège, un chapeau digne de ce nom ne s’accommode que de matières naturelles et de savoir-faire ancestraux pour les travailler.
La mode remet au goût du jour des formes anciennes telles que celle du chapeau à petit bord, le chapeau de pépé, porté par des trentenaires et des quadragénaires que le style de leurs groupes de musique de l’est et de jazz manouche préférés ont popularisé.
Détourner l’usage d’un chapeau est chose courante. Pour se distinguer, pour se jouer des conventions et des appartenances, sociales, le plus souvent. Ainsi la culture hip hop, les rappeurs, la RnB ont inscrit la casquette australienne de golfeur à leur code vestimentaire, en la portant en arrière, sur le côté, puis en avant. Le chapeau à petit bord est aussi en usage. On la voit aussi cette fameuse casquette modèle 504 sur la tête de Ordell Robbie, le trafiquant d’armes joué par Samuel L. Jackson dans le fameux « Jackie Brown » de Tarantino.
Mais les milieux musicaux et le cinéma ne sont pas les seuls prescripteurs. Les qualités intrinsèques du casque colonial en font un accessoire prisé de certains agriculteurs. Car doublé de liège, il isole très bien de la chaleur, plus long derrière que devant, il protège la nuque, l’intérieur de son bord, de couleur verte, diminue considérablement la réverbération du soleil dans les yeux, les œillets et un système de couture permettent à l’air de passer.

Et puis, il y a les intemporels, le populaire et l’élégant : le canotier e le panama. Le canotier français, tout d’abord : triple épaisseur de paille et apprêté pour qu’il reste plat avec à l’intérieur du cuir monté sur filet pour le confort de la tête et le canotier italien, celui porté par les gondoliers, souple et un peu plus bas. Le canotier est léger, mais il prend de la place. Lorsque Vincent Mouret remporta un marché de 3000 canotiers pour le tour de France, il fallut un semi-remorque pour les transporter !
Et enfin, le chapeau de légende, le panama, aussi bien porté par les hommes que par les femmes pour son élégance, quand il prend la forme d’un Borsalino, et pour son confort. Le « sombrero fino de paja toquilla » tel qu’il est appelé en Equateur où il est tissé à la main et selon les mêmes procédés depuis 1640, a été popularisé par les ouvriers qui creusaient le canal de Panama en 1881 et exporté par eux aux Etats-Unis et en Europe sous le nom générique de « panama hat ». Depuis son succès ne s’est plus démenti. Mais Il faut noter que le panama est une matière qui se décline sous toutes les formes : Borsalino (la plus connue), planteur, colonial, western, capeline, cloche, casquette, visière...Il peu être apprêté et donc rigide, il est alors déconseillé de le mettre sous la pluie ou mou, dans ce cas on peu le rouler et le placer dans sa poche. Tissé grossièrement ou si finement qu’il ressemble à de la toile de lin, son confort est sans égal. Les plus fins nécessitent jusqu’à six mois de tissage, leurs prix est donc en rapport. Mais qu’ils aient nécessité quatre jours de tissage ou six mois, chaque panama est unique et deux personnes interviennent dessus : celui qui tissent et celui qui l’arrête. Ainsi quand Vincent Mouret va les chercher en Equateur, il choisit ses chapeaux en fonction du tissage, convient d’un prix avec les tisseurs, les signe tous avant qu’ils ne passent entre les mains des Indiens qui les finissent afin que son lot ne parte pas entre les mains d’un autre chapelier qui aurait surenchérit sur le lot.
Tout un monde de chapeaux qui racontent des histoires et créent l’âme de la boutique.



Olivia Gazzano, n°7, juillet/août 2007